Marché
Ce que nous appelons "marché" était appelé "foire" lorsque j’étais enfant sur le causse du Haut-Quercy. On y trouvait les étals des commerçants mais aussi les stands plus petits de ceux que maintenant on appelle les "producteurs de pays". Et puis, il y avait les marchés aux bestiaux : les cochons d’un côté, les ovins ailleurs, les bovins par là et enfin la volaille.
Ma mère vendait quelquefois au stand des volailles, des animaux qu’elle avait soigneusement préparé. J’aimais assister aux échanges entre l’acheteur et la vendeuse. Il y avait beaucoup de non-dits que je ne saisissais pas et qui, en altérant ma compréhension des échanges, ajoutaient un parfum de mystère que j’aimais bien.
Mais le marché que je préférais était celui des moutons : on y trouvait des agneaux engraissés pour ravir les papilles des amateurs, des brebis en petits nombre pour compléter un troupeau, quelques béliers pour les échanges et éviter la consanguinité et des agnelles (très jeunes brebis) pour le renouvellement du troupeau de brebis. Les barrières de bois étaient en place très tôt le matin et il fallait venir avant l’ouverture officielle pour transférer les animaux des bétaillères vers les parcs. Venait ensuite l’attente et le passage des maquignons qui repéraient les animaux qui les intéressaient en attendant la cloche qu allait lancer les marchandages. Il y avait bien, déjà, quelques échanges et quelques réservations (on n’avait pas, ainsi, trop l’impression d’enfreindre la loi). Avec le tintement aigrelet, une vague semblait parcourir le foirail avec les acheteurs qui allaient rapidement vers les emplacements repérés. Ces premiers marchandages étaient rapides, précis et se concluaient très vite par la poignée de main qui valait tous les contrats. Je préférais les échanges suivants avec les atermoiements des uns et des autres : cela faisait partie de la négociation. Il y avait aussi ces petites compensations quasiment indétectables mais dont tout le monde connaissait l’existence : un prix annoncé à voix haute qui n’était pas le prix payé mais qui tentait de faire bouger le cours du marché, une promesse qui serait tenue bien sûr mais qui permettait à l’un ou à l’autre d’être un peu plus serein pour les jours ou les semaines à venir, de faux accrochages verbaux qui ne masquaient qu’un désaccord provisoire, souvent de quelques centimes.
Petip à petit les "biaudes" noires (espèce de tabliers) des professionnels disparaissaient et la place retrouvait peu à peu sa quiétude et sa tranquillité. Il restait quelquefois des invendus d’un propriétaire trop exigeant. Mais les camions en cours de chargement témoignaient que, comme d’habitude, la plus grande partie des animaux avaient été échangés. Beaucoup partaient pour l’abattoir. Les autres étaient chargés dans les bétaillères et changer ainsi de ferme.
Le brouhaha s’apaisait et je rejoignais mon père pour rentrer dans notre ferme là-bas loin, sur le causse tout en souhaitant aller à la prochaine foire à Gramat (celle que je préférais), à Vayrac ou à Saint-Céré.
Marche
Conduire un troupeau de moutons m’a très tôt fait marcher, beaucoup mais je crois que c’est aussi le plaisir que je prenais à faire les deux kilomètres pentus qui me séparaient de l’école qui m’ont donné l’amour de la marche. J’aime marcher de quelques kilomètres a de longues distances à travers la campagne, dans les chemins plus ou moins larges vers de nouveaux horizons. Je marche plutôt vite, plutôt longtemps et surtout, plutôt silencieusement. Même si j’aime le silence, c’est surtout pour les découvertes que cela implique fréquemment : les activités des êtres humains (avec quelques situations cocasses et même quelquefois scabreuses), les comportements naturels des animaux qui ne subissent que les contraintes habituelles et normales, les bruits comme les cris ou les chants qui enrichissent ce silence.
J’aime marcher et je redoute toujours que mon ménisque fendu par trop d’activités sportives ne réveille la douleur du genou qui me contraint à rester immobile.
Moine
Le moine n’est pas du tout celui auquel tu penses, ami lecteur. C’était autrefois un ustensile bien utile dans nos maisons mal chauffées. Cette cage de bois dans laquelle on suspendait un récipient rempli de braises servait à réchauffer le lit glacé dans lequel nous allions nous coucher. J’aimais beaucoup le contraste de l’air froid de la chambre jamais chauffée dans laquelle je couchais et les rudes draps à la douce chaleur. Morphée me prenait rapidement et je ne saurais dire si c’était la fatigue de la journée ou ce confort tout relatif qui m’envoyait au pays des songes.
Le moine était donc comme une chaufferette spécialisée, une bouillote à braises et sans eau... Quelquefois, nous la remplacions par une brique sur laquelle nous appuyions nos pieds : elle avait été préalablement chauffée dans la cheminée et emmaillotée d’un vieux chiffon.